J'aime les gens qui doutent

Il y a quelques jours, quelqu'un qui je pense me connaît bien, aka mon père, m'a dit : "Toi, tu as un sacré carafon". Comprenez : toi, tu as un fort caractère. Au-delà du fait que je trouve l'expression "fort caractère" un peu stupide et surtout très réductrice, cela m'a inspiré une petite réflexion.

La newsletter des poux
2 min ⋅ 02/11/2023

Pour moi, avoir un fort caractère, c’était parler fort, balancer dix punchlines à la minute, avoir toujours le mot pour rire et avoir un avis sur tout. Il y a quelques semaines, je suis entrée en école de journalisme. Alors que je pensais avoir fait la paix avec moi-même grâce au théâtre, aux patates douces et à Dalida, le petit complexe d’infériorité qui sommeillait en moi s’est réveillé sans crier gare.

J’ai toujours eu cette réputation de personne discrète, introvertie voire timide. Un ami d’amis m’avait dit au cours d’un pique-nique estivale : “tu es tellement silencieuse que tu as le pouvoir de disparaître.” J’ai mis du temps à 'réaliser à quel point cette phrase m’avait blessée. J’avais bafouillé bêtement, regrettant encore une fois de ne pas pouvoir lui répondre du tac au tac.

Pendant très longtemps, j’ai tout fait pour prendre le moins de place possible. Encore aujourd’hui, je parle assez doucement, j’appréhende toujours de dire une bêtise ou de vexer involontairement quelqu’un et je suis loin d’avoir un avis sur tout. J’ai parfois joué de cette image de petite fille sage mais j’ai surtout beaucoup complexé. J’avais envie d’être comme tous ces gens que l’on écoute quand ils parlent, comme cette amie pétillante qui a assez d’assurance pour hausser le ton quand on l’interrompt ou comme ce pote qui a assez d’aplomb pour parler pendant plusieurs minutes du dernier film qu’il a vu. Mais est-ce vraiment cela avoir un sacré carafon ?

L’une des personnes que je préfère sur Terre, avec qui j’ai eu l’habitude de refaire le monde sous les toits de Paris en mangeant des Kinder Bueno, regrettait d’être faible, soit d’avoir des moments de doute. Je répéterai autant que besoin à cette personne que pour moi, être fort, c’est au contraire savoir fermer sa bouche et écouter les autres quand il faut. Etre puissant, c’est identifier les moments où l’on a besoin de prendre du recul.

Alors je lève mon verre à celles et ceux qui disent “je ne sais pas”, à celles et ceux qui écoutent, à celles et ceux qui parlent doucement. A celles et ceux qui se taisent parfois. A celles et ceux qui assument leurs doutes et leurs peurs. A celles et ceux qui font preuve de nuance, ce qui est tellement rare en ce moment.

Je ne suis pas naïve. Si je prône la douceur, l’écoute ou encore l’empathie, c’est sûrement parce que j’ai déjà été un peu entendue, même si je ne m’en rends peut-être pas compte. Evidemment qu’on doit, surtout nous les meufs (pour parler de ce que je connais), parler fort. Lorsque j’étais en prépa littéraire, il n’était pas rare que les dix garçons de la classe (pour 35 filles) monopolisent la parole. Moi aussi j’essaie de la ramener de plus en plus. Je me fais même un malin plaisir d’ouvrir ma bouche quand je sens qu’une conversation déborde un peu trop de suffisance masculine.

Alors vive les gens qui doutent, et vive les meufs qui parlent !

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Par Sophie Volatier-Godard

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